Passant par une période d’hésitation, d’attente d’une catastrophe et de l’approche d’une fin – à quoi je ne sais pas – j’ai répondu à l’invitation de Pascale d’aller participer à une prière dans l’église de Notre Dame du Secours à Zouk. Ce n’est pas une église où je me rends souvent, j’y ai été une fois avant ce soir, seulement.
Cela m’a fait bizarre de me trouver dans cette église, où, il y a 15 ans de cela à peu près, un massacre commis dit-on par des forces armées chrétiennes, et où une vingtaine de personnes sont mortes suite à l’explosion d’une bombe à l’intérieur de l’église avait eu lieu.
J’y suis allée, sans savoir de quoi il s’agit au juste. Il était 18h00. Nous nous mettons au dernier rang, sur les conseils de Pascale. Au début, la foule des pratiquants commence par réciter le rosaire, les mystères de la Joie. Comme cela faisait un bail que je n’ai pas participé à une prière collective, j’ai uni ma voix à celle de l’assemblée.
Je m’attendais déjà de ne voir que de vieilles dames et quelques préadolescents, mais à ma surprise, l’église était pleine à craquer, de personnes de tous âges, et de différentes catégories de la société libanaise : il y avait même un homme des forces de l’ordre en costume venu prier avec sa femme, et un soldat de l’armée libanaise en uniforme également – ils étaient juste devant moi, voilà pourquoi j’ai pu les remarquer.
A la deuxième dizaine du chapelet, à ma grande surprise, pour ne pas dire choc, ce fut une voix d’une personne handicapée qui priait au micro ; elle prononçait très mal, et je me demandais comment on lui a permis de prendre la parole, parce que ça devait certainement gêner l’assemblée : non que je sois gênée moi-même, mais je trouvais un peu étonnant de donner la parole devant quelque 300 personnes quelqu’un qui balbutie.
J’ai voulu sortir, quelque chose m’avait tapé sur les nerfs sans que je ne le sache ; je supportais mal déjà l’idée qu’il y ait le rosaire avant la messe, ce qui promettait deux heures minimum à l’église, et en plus que cela soit dit au ralenti par une personne qui balbutie, moi qui suis un peu sur mes nerfs dernièrement. Quelque chose me chatouillait les nerfs, quelque chose d’incompréhensible. Pourquoi est-ce que je me sens aussi étrange parmi ces centaines de personnes ? Je ne suis pas agoraphobe, alors pourquoi ? Signalant à Pascale que je vais sortir, elle m’a dit : tu n’es pas obligée de rester, c’est normal que tu quittes.
Je ne sais pas pourquoi, quand elle m’a dit cela, j’ai reçu ses propos comme une gifle. J’écoutais une personne qui n’a pas la facilité de la parole, faire tous les efforts du monde pour prier, alors que moi, qui a tous les sens et les membres intacts, je ne me gêne pas une dizaine de minutes à prier ce Dieu en qui je crois, mais que je prends, ainsi que les grâces qu’Il me donne, pour de l’acquis. Je n’arrive pas à supporter une quinzaine de minutes d’un effort de parole de la part d’une personne qui est mon égale aux yeux de Dieu, mais qui n’a juste pas la possibilité d’utiliser ses membres inférieurs pour marcher, ni sa langue pour prononcer correctement une prière qui vient du fin fond de son cœur innocent, alors que moi, j’ai mis Dieu au 10ème degré dans ma vie, et j’use la faculté de la parole pour râler sur la situation dans laquelle on se trouve et pour critiquer les autres.
J’ai remis mes clés dans mon sac, et je me suis assise de nouveau sur le banc, et je me suis tue, laissant mon cœur parler à Ce qui me dépasse. Une heure de temps est passée sans que je ne le sente. J’étais dans une sorte de coma de la pensée et de la langue, réalisant qu’est-ce que je peux moi-même être handicapée de cœur et de foi. J’ai sentie soudain une soif dont j’avais perdu la sensation il y a plus de 9 ans. Une soif qui ne peut être désaltérée que par un face à face franc avec Dieu, dénudé de tout ce qui peut alourdir la rencontre avec ce qu’il y a de plus éthéré et plus suprême au monde.
Puis survient le moment de la messe. Je vois une ribambelle de jeunes de mon âge se précipiter vers l’autel, dont un violoniste et un organiste. J’ai voulu quitter, craignant un tapage quelconque d’une bande de musiciens qui ne trouve pas une scène qui puisse les accueillir à part l’autel de la paroisse, le genre à faire des gaffes de son inimaginables.
Il est déjà 19h40, et la nuit a déjà recouvert la région de son manteau ténébreux, ce qui m’a encouragé de rentrer chez moi plus tôt. Puis avant même que je ne me décide de partir, toutes les lumières de l’église ont été éteintes, et une obscurité rassurante régna sur l’endroit, avec une seule source de lumière, la croix en haut de l’autel. Et une douce musique, accompagnée de voix presque angéliques, a meublé un silence surprenant émanant d’une foule comptant par centaines. Que de clichés et de préjugés j’avais en tête. J’ai tout d’un coup compris pourquoi il y avait autant de personnes présentes dans ce lieu de prière. Parce qu’il y fait beau prier, il y fait beau ouvrir son cœur pour accueillir la paix et la bénédiction du Christ de la part d’un prêtre qui n’avale pas ses mots pour finir au plus tôt son devoir, mais qui donne envie de rester un peu plus protégée dans les mains du Christ et à l’abri sous le manteau de protection de la Vierge.
Plusieurs images se sont bousculées dans ma tête. J’ai senti qu’il est possible que des centaines de personnes sont capables d’ouvrir leurs cœurs en même temps dans un même endroit à l’Amour de quelque chose ou de quelqu’un, je me suis sentie tellement ridicule voulant échapper à quelques minutes de plus accordées à Dieu. J’ai senti que je courais après des nuages futiles et volatiles, et je m’obstinais à rester sous ces nuées, oubliant que ce ne sont que des cirrus, cumulus, nimbus, ou stratus, agréables à regarder certes, mais qui cache une source de lumière indéniable, qui est la même pour tout le monde.
Les premières personnes qui me sont venues à l’esprit, ce sont mes grands-parents paternels décédés, et j’ai réalisé combien leur présence me manque, et j’ai espéré que leurs âmes reposent paisiblement au ciel. J’ai également pensé à mes parents, à chaque membre de ma famille, à mon amour ainsi que sa famille, à mes amis notamment Pascale et son fiancé, ainsi que Karim, à certaines personnes qui ne sont plus de ce monde et qui ont marqué ma vie, aux grands parents de mon chéri à qui j’ai également prié pour le repos de leurs âmes bien que je ne les ai pas connu, aux martyrs de l’armée libanaise lors des évènements de mai-septembre 2007, aux innocents morts depuis 1975 et jusqu’aux derniers évènements d’il y a quelques jours, et aux personnes handicapées qui se trouvaient dans l’église, que j’ai envié pour leur simplicité de cœur. Et durant tout ce temps, mes yeux baignaient dans de grosses gouttes qui ne tardaient aucunement à dégringoler le long de mes joues, sans même m’en rendre compte. J’ai surtout pensé à ce pays meurtri, ce pays que l’on foule aux pieds. Trop d’images ont traversé mes pensées, mon cœur et mon esprit. J’ai formulé des tréfonds du cœur des prières à l’intention de tous ceux que j’ai cité, et j’ai voulu que ces moments d’union de prière avec une foule qui chante d’une seule voix ne prennent pas de fin. Toujours dans cette obscurité rassurante, à la fin de la messe, le prêtre a pris l’ostensoir et s’est dirigé vers la foule, et a bénis chaque personne présente en posant l’ostensoir sur sa tête. Cela a dû être long certes, mais le temps s’est écoulé comme le flux d’une rivière, et je n’exagère vraiment pas en faisant ce rapprochement. Vers la fin, j’ai voulu immortaliser un ou deux instants de ce que j’ai vécu, et j’ai pris trois photos de l’assemblée, mais à la volée, pensant qu’il est peut-être pas très conseillé d’utiliser un appareil photo. Après ces moments de paix du cœur, il était 21h15 je suis sortie rejoindre ma voiture.
Et là, je suis descendue de mon petit nuage qui m’élevait vers les cieux, et je suis tombée dans la triste réalité qu’est la jungle dans laquelle je me trouve : 6 voitures bloquaient carrément ma voiture, et j’ai dû attendre une vingtaine de minutes pour que la voie puisse être évacuée. Ça a certes étouffé 75% de ce que j’ai ressenti lors de la longue séance de prière, mais bon, je garde quand même une conviction : rien ne vaut des moments de paix au cœur vécus dans cet éclair de vie, et qui nous permettent de nous rapprocher d’avantage du Créateur.
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